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ment « chaque société, comme le disait Renan, chaque forme intellectuelle, religieuse, morale, laisse après elle une courte expression qui en est comme le type abrégé », on peut dire que l’auteur des Trophées a trouvé cette expression unique. Ses sonnets sont pour la plupart d’admirables « synthèses » qui supposent une longue et minutieuse analyse.

Enfin, le culte de l’art et de la beauté. Nul autre que M. de Heredia ne porta jamais dans le métier poétique la même application, la même sévérité de scrupules. Sans doute Théophile Gautier et Leconte de Lisle avaient imposé à la poésie une technique rigoureuse. Mais M. de Heredia fut plus attentif encore et plus strict. Il n’y a chez lui aucune impropriété, aucune négligence ; pas un mot qui n’ait sa juste place, pas une rime qui ne satisfasse l’oreille et l’esprit, voire qui ne plaise à l’œil. Ce souci de la perfection explique assez qu’il ait peu écrit : cent dix-huit sonnets, en trente ans ; depuis Malherbe, on n’avait vu chez aucun poète pareille sobriété de veine. M. de Heredia reprit l’œuvre de Leconte de Lisle : il en resserra l’ampleur, il en condensa l’éclat, il en châtia l’art. À un tel travail de correction, et, pour ainsi dire, de coercition, s’imposaient d’elles-mêmes les formes du sonnet, soit que sa brièveté ne souffre aucune négligence, soit que sa fixité lui donne un caractère de précision définitive. Les sonnets de M. de Heredia sont de tout point admirables. Leur splendeur égale leur rectitude. Notre poésie n’a jamais rien produit de si magnifique en même temps et de si pur.