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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

la tragédie grecque était pour les anciens, ce que les mystères furent pour notre moyen âge ; il s’adressera non plus à je ne sais quelles « chambrées », mais au grand public, qui est la France tout entière. Il rompra sans scrupule avec les bienséances factices comme avec les règles arbitraires : débarrassé des unes, il représentera la vie avec sincérité sans se croire obligé d’en raboter toutes les saillies ; affranchi des autres, il élargira son cadre dans le temps et dans l’espace pour y faire entrer, au lieu de raccourcis artificiels, un large et vrai tableau de la vérité humaine.

Entre les idées de Diderot et celles de Mercier il y a, on le voit, une parenté étroite. Diderot, sensible à ce qu’offrent d’exquis l’art et le goût classique, fait le procès aux conventions de notre théâtre avec plus de mesure qu’un barbare comme Mercier, mais il ne tient pas moins la tragédie et la comédie pour des genres qui ne répondent plus aux conditions de la société contemporaine, et, s’il admire les pièces de Racine, c’est au même titre que celles de Sophocle et d’Euripide, en y voyant les chefs-d’œuvre d’un système dramatique qui a fait son temps. Chacun d’eux propose sa formule nouvelle. Celle de Diderot s’applique plus particulièrement à la tragédie bourgeoise, dont Sedaine allait donner le chef-d’œuvre. Celle de Mercier embrasse un champ plus vaste ; on y trouve en germe, si l’on veut, le drame romantique, tout au moins celui d’Alexandre Dumas, mais elle s’adapte bien mieux soit au mélodrame populaire, dans lequel il s’essaya lui-même, soit à notre comédie contemporaine, dont Beaumarchais, son disciple comme celui de Diderot, devait bientôt porter sur la scène le premier modèle.

Pendant que Diderot et Mercier tentaient une réforme du théâtre, que Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre ouvraient des sources inépuisables d’inspiration, la poésie s’amenuisait, s’affadissait de plus en plus, avec les sèches descriptions de Saint-Lambert ou les pastorales insipides de Florian. Ce fut André Chénier qui la régénéra. Publiés