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LA POÉSIE.

posthumes semblent encore attester que, par delà la tombe elle-même, il est resté toujours jeune et toujours fécond !

Les derniers recueils de Victor Hugo reprennent des thèmes déjà connus. Après la Légende des siècles on peut dire qu’il cesse de se renouveler. Mais les redites dont abondent ses œuvres les plus tardives ne semblent inférieures aux inspirations originales que parce qu’elles sont postérieures. Toute la lyre vient à peine de paraître, et nous y trouvons maints chefs-d’œuvre comparables aux plus belles pièces des Contemplations, des Châtiments, de l’Année terrible. Jusque dans l’extrême vieillesse, Victor Hugo n’a rien perdu de sa puissance et de sa vigueur. S’il revient sur sa propre voie, c’est qu’il avait déjà parcouru le cycle tout entier de la poésie.

Attaqué, discuté, contesté dans la première partie de sa carrière, il exerça dans la seconde une souveraineté unanimement reconnue. Toute la poésie contemporaine émane de lui. Ses disciples sont devenus à leur tour des maîtres, comme les lieutenants d’Alexandre devinrent des rois en se partageant son empire. Parmi les écoles poétiques qui se sont multipliées autour de lui, il n’en est pas une dont nous ne puissions trouver l’origine dans quelqu’un de ses chefs-d’œuvre. Les virtuoses se rattachent à ses Orientales, les psychologues à ses Voix intérieures, les Olympiens à sa Légende des siècles, les « funambulesques » à son quatrième acte de Ruy Blas ; les « symbolistes » eux-mêmes, ces mystiques de la forme, reconnaissent en lui le premier de nos poètes qui ait saisi l’âme des mots, qui, pour citer ses propres termes, ait découvert un sens révélateur dans le frisson des syllabes. Suivant l’expression d’Émile Augier, Victor Hugo est le Père. Sa vieillesse triomphale fut entourée d’un véritable culte. Quand il mourut, tout un peuple le conduisit au Panthéon ; mais l’apothéose avait précédé les funérailles.

Victor Hugo n’est pas seulement un ancêtre, c’est en quelque manière un primitif. Les sentiments dont il s’inspire sont les plus généraux, ceux dans lesquels réside le fond