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LE ROMAN.

mari qui glorifie l’amour en se suicidant pour que sa femme puisse aimer sans scrupule celui qu’elle lui préfère.

L’ordre social, fondé sur le mariage, que faussent et pervertissent d’hypocrites bienséances, est fatalement voué à une transformation, qui aura l’amour pour initiateur. Lélia s’en prenait déjà de son mal à la société et aux lois humaines ; Simon consacrait le triomphe de la passion sur les iniquités du monde ; Mauprat la présentait comme un principe de régénération morale. Dans la seconde période de sa carrière, George Sand devient socialiste. Pendant dix années elle met son génie au service des réformateurs qui rêvent une société nouvelle. De tous les romans dans lesquels ses personnages développent des théories humanitaires, aucune idée vraiment nette ne se dégage. Elle n’a pas toujours bien saisi les systèmes auxquels ses amis l’initiaient tour à tour ; elle les confond tous dans je ne sais quel songe de paradis arcadien. Ce qu’ont de significatif les romans de ce genre, bien surannés aujourd’hui et que personne ne lit plus, c’est, même à travers les déclamations les plus creuses, un sentiment passionné de charité humaine et une tendresse infinie pour les déshérités du monde. Elle reçoit les idées des autres, mais elle leur prête le chaud et sympathique rayonnement d’une âme qui est tout amour.

C’est par le cœur que George Sand fut « socialiste », et le « socialisme » n’était pour elle que le rêve pieux d’une humanité meilleure et plus heureuse. Quand les discordes politiques eurent fait brusquement avorter toutes ses espérances, la déception, si navrante qu’elle fût, ne laissa dans son âme aucune aigreur. Elle ne vit dans l’égarement des hommes qu’un motif de les aimer davantage. Elle ne renonça pas à son idéal, mais, détournant les yeux des spectacles qui semblaient le démentir, elle lui donna un autre cadre, elle le réalisa en des âmes rustiques dont la naturelle candeur se conserve à l’abri de toute contagion ; elle rappela aux hommes endurcis ou découragés, elle se rappela à elle-même « que les mœurs pures, les sentiments