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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

ni surprises, qui atteint directement la vérité sans intermédiaire prestigieux et suspect. Ce rationalisme domine toute la littérature du xviie siècle. Il se manifeste dans la prose oratoire par un style régulier et méthodique, par des raisonnements d’une suite insensible et d’une gradation soigneusement ménagée, par un bel ordre de propositions contiguës qui s’annoncent et se commandent les unes les autres sans qu’aucun anneau de la chaîne soit omis ou transposé. La poésie elle-même exclut les fantaisies de la verve et les hasards de l’inspiration : Boileau veut qu’un poète emprunte à la raison tout le lustre et tout le prix de ses ouvrages. Aimez la raison, plaisez par la raison seule, ces maximes reviennent constamment sous sa plume. Il voit dans le « bon sens » le but suprême, le but unique de la poésie. Ce n’est pas assez de vouloir que tout en parte : tout doit y tendre. Cette raison, que Racine félicite Corneille d’avoir le premier montrée sur la scène, que Voltaire félicitera Bourdaloue d’avoir le premier fait entendre du haut de la chaire, Perrault la porte jusque dans le conte de fées comme Boileau l’exige jusque dans la chanson.

L’homme n’est plus qu’une intelligence pure. Il nous apparaît ainsi dans toutes les œuvres du temps. Les formes extérieures sont effacées. Romanciers ou poètes tragiques ont peint, non des individus en chair et en os, mais des états moraux. Les personnages semblent n’avoir pas de corps. Si, par hasard, on nous laisse entrevoir quelque trait qui les rattache à la réalité sensible, il est si bien idéalisé par les artifices du style qu’il ne nous laisse aucune impression matérielle. On dépouille l’homme de tout ce qui est individuel pour s’en tenir aux éléments les plus généraux. Point de portraits, mais des types ; non pas un avare, mais l’avare, ou plutôt l’avarice. On bannit tout ce qui peut déterminer les personnages, soit dans le temps, soit dans l’espace. Racine observe que le bon sens et la raison sont les mêmes en tout siècle. Qu’en résulte-t-il ? C’est que ses héros pourraient, sans trop de surprise, se transporter d’une époque à une autre époque, d’un pays à un autre pays. Achille