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LE DRAME ROMANTIQUE.

que le classicisme lui-même défendait bien mollement, du moins à la nudité de l’action, à la simplicité des caractères, à la sobriété du style, à ces formes austères et symétriques qu’affectait l’ancienne tragédie. Pourtant, jusque dans Lucrèce, que les derniers classiques opposaient si bruyamment à leurs adversaires, bien des traces s’accusent de ce romantisme qui, l’auteur lui-même l’a dit, « avait eu ses premiers enthousiasmes ». Mais Ponsard essaya vainement de concilier la tragédie avec le drame ; et cette tentative ingrate suffirait à expliquer l’infériorité d’un poète dont le talent consciencieux, si le mouvement et l’éclat lui font trop souvent défaut, ne manque, dans sa sécheresse et dans sa raideur, ni de force ni même d’audace. Il alla de plus en plus vers les novateurs, et Charlotte Corday, la meilleure pièce que composa ce prétendu restaurateur de la scène tragique, est, malgré le titre qu’elle porte, un drame romantique bien plus qu’une tragédie.

Ce qui devait succéder au drame, ce n’était pas la tragédie classique, mais un genre de comédie nouveau d’esprit et de forme qui, après l’irrémédiable décadence du romantisme, s’appropriera de lui-même aux tendances positives et réalistes de notre époque. Le romantisme, dans la période même de ses plus grands succès, n’avait pas aboli la comédie, malgré sa prétention de la fondre avec le drame. Mais elle n’était alors qu’un amusement sans portée. Elle se résume tout entière en un seul nom, Eugène Scribe. Scribe fournit pendant trente ans à tous les théâtres, avec une inépuisable fécondité, des pièces dénuées d’observation et de style, dans lesquelles il montrait une incomparable adresse à brouiller et à démêler les fils d’une intrigue. Il eut le génie du savoir-faire. Uniquement préoccupé de divertir son monde, il fut le grand amuseur public jusqu’au moment où de nouvelles générations demandèrent à la comédie, non plus des marionnettes, mais des hommes, non plus la lueur factice de la rampe, mais le grand jour de la vie réelle.