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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

des anciennes odes elles-mêmes trahissaient chez lui la sollicitation des événements publics ; mais ces cantates, dans lesquelles il célébrait avec un froid enthousiasme des morts ou des naissances de rois, n’ont rien de commun avec la poésie savoureuse et pleine, nourrie de réalités et d’expériences, qu’élaborent maintenant une raison toujours plus recueillie et une sensibilité dont la source intérieure se creuse toujours davantage. Son cœur se met de lui-même à l’unisson du siècle. Dans les Chants du crépuscule l’incertitude du dedans correspond avec « la brume du dehors ». De cette atmosphère douteuse il sort tantôt des cris d’espoir, tantôt des chants d’amour ; mais les cris sont « mêlés d’hésitation » et les chants « coupés de plainte ». L’âme et la société s’y montrent « à demi éclairées » ; théories politiques, opinions religieuses, existence personnelle, partout c’est le même état crépusculaire : la nuit lutte avec le jour, c’est-à-dire le doute avec le dogme, la tristesse avec la joie, la crainte que tout n’aille s’obscurcissant avec la foi bruyante à l’épanouissement possible de l’humanité. Les Voix intérieures sont l’écho secret du foyer, du champ et de la place publique ; l’homme, la nature et les événements y parlent tour à tour, et cette triple parole renferme l’enseignement d’une sagesse grave et fortifiante. Que le poète médite sur les sommets déserts, dans le tumulte des rues ou dans la quiétude songeuse du toit domestique, il s’exhale de tous ses chants une pieuse résignation qui s’allie aux robustes tendresses, aux sympathies vaillantes et généreuses.

À mesure qu’il va devant lui, « son ciel devient plus bleu, son calme plus profond ». Les Rayons et les Ombres ont pour dernier mot cette « bienveillance universelle et douce » à laquelle s’unissent toutes les énergies de l’action, et qui pardonne au mal sans cesser de le combattre. En même temps que son esprit s’élève et se rassérène, sa sensibilité trouve des notes d’une émotion plus intense et plus méditative. Son pittoresque lui-même ouvre un champ plus spacieux à la rêverie et à l’imagination. La nature ne lui fournit pas seulement des couleurs, il en pénètre l’âme