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INTRODUCTION — DU BEAU ET DE L'ART

Il y a un bon et un mauvais goût, comme il .y a une bonne et une mauvaise morale ; on en peut donner des règles, et Leibniz a fort bien dit : « Il y a de la géométrie partout. »

Sur cette route fleurie, que d’écueils à éviter ! — développement capricieux de l’instinct, d’où les partis pris, les manies, les tics, — entraînement des passions, — toute-puissance des habitudes prises, — séduction des mauvais exemples, etc. Comment préserver le jugement des illusions, des méprises, des aveuglements, des préventions, des confusions et des erreurs ? Le goût est un terrain qu’il nous faut cultiver avec soin. Sur ce sol fertile, comme sur le sol de la morale, si nous ne semons pas le bon grain, quelqu’un sèmera l’ivraie. Prenons donc les devants, hâtons-nous ; car l’ennemi viendra, il viendra sûrement. C’est folie de compter sur la bonté native et sur la perfection essentielle de notre âme. Non, l’homme n’est point une intelligence pure, un pur esprit, capable de saisir et de concevoir le beau par une intuition spontanée et infaillible. Comme pour le vrai dans la science, comme pour le bien dans la vie morale, la conception claire du beau est le fruit d’un progrès lent, d’une éducation longue et laborieuse.

L’enfant appelle beau tout ce qui frappe vivement ses sens ; par exemple, un caillou brillant, le rythme élémentaire du tambour, la sonorité perçante d’un clairon, lui apparaissent comme quelque chose de plus beau que les mérites délicats d’une œuvre de Raphaël ou de Mozart ; l’enfant est plus sensible à la quantité qu’à la qualité, c’est un être d’instinct.

Dans l’âme du jeune homme commence à poindre le sentiment du rapport entre la forme et l’idée, entre le signe et l’objet, entre le corps et l’âme. C’est l’aurore du sentiment artistique ; mais que de voiles encore, que de contra-