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CARACTÈRE ESSENTIEL DE L’ART

mystérieuse du réel et de l’idéal, dans un secret accord dont le goût a le sentiment, sans pouvoir en donner la définition ni en préciser les caractères.

Sans doute, tous les éléments du beau sont dans la nature, depuis les couleurs des nuages et les lignes de l’horizon jusqu’à la mobilité intelligente des traits de la figure humaine. Mais, pour dégager les éléments du beau et les séparer de mille autres caractères, il faut à l’artiste le discernement de tout ce qui peut s’opposer ou nuire à l’impression du beau. Ce discernement et ce départ ne peut se faire que par comparaison avec un modèle conçu par l’artiste, et qu’on appelle l’idée ou l’idéal. Raphaël écrivait : « Je travaille d’après une certaine idée que j’ai dans l’esprit... Je m’efforce de la réaliser. » Cette idée, cette conception de l’essentiel est le type ou modèle immatériel que l’artiste se propose de reproduire et qu’il craint toujours de gâter en lui donnant une forme sensible.

Voilà pourquoi l’artiste ne prend pas tout ce qu’il trouve dans la nature, mais seulement ce qu’il trouve qu’elle a bien fait, d’après sa conception personnelle du beau, d’après ce qu’il appelle l’idéal. Et comme le propre du beau est de plaire en élevant l’âme, on peut dire avec Racine que : « plaire, toucher, élever, sont les objets propres de l’art, et marquent à l’artiste son devoir. »

Un privilège charmant des œuvres d’art, c’est de faire goûter à l’auditeur ou au spectateur le plaisir tout particulier de l’interprétation. L’artiste ayant traduit l’émotion que lui inspire le beau, le public s’associe à cette émotion en la partageant.

Bien que le plaisir esthétique soit, en droit, un plaisir commun, essentiel à la nature de l’homme ; toutefois, en fait, ce plaisir est le privilège de quelques natures très délicates