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L’Âme existe-t-elle


Après une période de positivisme, le monde intellectuel est revenu au spiritualisme ; le philosophe M. Bergson semble avoir été un des initiateurs de ce revirement qui a conquis aujourd’hui une forte proportion des gens qui pensent ou qui passent pour penser.

Les causes profondes de cette transformation de la mentalité me paraissent suspectes à bien des égards et je soupçonne fort ceux qui invoquent aussi ardemment l’esprit d’avoir surtout en vue la matière.

Devant la poussée du quatrième état réclamant son droit à la vie heureuse, la bourgeoisie s’est mise à penser qu’elle avait eu tort de combattre la religion et que l’esprit voltairien, excellent pour conquérir le pouvoir, est mauvais pour le garder. Elle a donc entrepris la restauration des anciennes croyances.

Ce retour, cependant, ne pouvait se faire d’emblée dans un pays où les catholiques pratiquants étaient en minorité infime. Il fallait aller pas à pas et le premier pas consistait à amener les gens cultivés d’abord, les masses ensuite à croire que l’âme et la vie future ne sont pas des absurdités.

C’est ce que fit M. Bergson en France, William James en Amérique. Ils ont en partie réussi, et aujourd’hui on tente le second pas, la restauration religieuse ; elle a lieu partout[1].

Les intérêts des classes dirigeantes ne sont pas à vrai dire le seul fondement de cette involution. La science ne peut suffire à tout ; du moins tant que la science ne sera pas parvenue à abolir la mort, ce à quoi elle n’arrivera jamais ; cela est plus que probable. La perspective affreuse de l’anéantissement inévitable assombrit toute la vie ; elle peut laisser résigné le paysan inculte, mais elle affole un Pascal. Plus le cerveau s’ap-

  1. Ceci a été écrit avant le 11 mai 1924, jour de la défaite électorale du Bloc National. La France alors a paru se ressaisir.