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L’Enfant

(histoire vraie)


Malgré leurs respectifs trente mille francs de dot, ce qui, pour l’époque, était une somme, elles n’avaient pu trouver de mari.

Elles étaient deux sœurs. J’allais les voir de temps à autre dans le coquet appartement de Passy où elles vivaient avec leur mère. Intelligentes, instruites, elles se destinaient à la littérature et préparaient en collaboration leur premier roman.

Le père mort depuis longtemps avait été, paraît-il, un disciple des théories Saint-Simoniennes. Il n’y apparaissait guère dans la famille. Le seul caractère avancé était l’absence de religion ; à part cela la mère et les filles étaient absolument bourgeoises et conservatrices, tout à fait détachées du sort du peuple qui, pour elles, ne comptait pas.

Elles passaient à Paris quelques mois seulement au début de l’été ; l’hiver elles vivaient à la Côte d’Azur et aux vacances elles allaient en Bretagne.

Leur vie s’écoulait heureuse, remplie par leurs travaux littéraires, les toilettes, les promenades, quelques réunions mondaines. Néanmoins, une chose manquait à leur bonheur : ce mari, précisément, qui ne s’annonçait pas.

L’aînée avait trente-deux ans, la cadette approchait de la trentaine. Ma profession d’étudiante en médecine les portait à me faire des confidences ; elles souffraient beaucoup du célibat.

Que faire, attendre ? Elles attendaient depuis déjà bien longtemps. La patte d’oie impitoyablement