Page:Pelletier - Oeuvres diverses.pdf/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

serviette sous le bras, dévalaient les trottoirs. Il eut un brusque coup au cœur ; il se trouvait ignominieux avec son bourgeron bleu et le paquet enveloppé de toile qu’il portait sur son dos : il se prit à regretter amèrement les années perdues à son école primaire. Mais une voix intérieure lui dit qu’il était encore très jeune et qu’il pouvait réparer.

Il essaya de s’ouvrir à son père de ses nouvelles dispositions ; naturellement, on ne l’écouta pas.

— Quitter la reliure, alors que ton apprentissage est presque fini ? Retourner à l’école ? Est-ce que tu n’es pas fou ? Penses-tu que moi et ta mère nous allons t’entretenir à ne rien faire jusqu’à la fin de tes jours ? Tu as vraiment de drôles d’idées parfois, et si ta mère n’était pas une honnête femme, j’en viendrais à croire que tu n’es pas mon fils !

Mis en état de gagner son pain, Jacques quitta la maison paternelle. Les moralistes traditionnels pourront le blâmer, mais il voulait faire sa vie. La dépendance familiale dans un milieu grossier lui pesait depuis longtemps. Il l’avait rêvée bien des fois cette minute où il pourrait enfin prendre congé du logis triste, des disputes continuelles pour des riens, des railleries qui accueillaient ses vagues aspirations, lorsqu’il lui arrivait de les dire ; ses lectures dont on se moquait.

— Le voilà encore plongé dans les bouquins ; quel enfant, grand Dieu ! Muet comme une carpe ; on n’a guère de satisfaction avec lui !

Il avait vu, affichée sur les murs, la réclame d’une école par correspondance. Pour une somme modique, disait l’affiche, on pouvait recevoir des livres, des cours imprimés, des devoirs que l’on vous retournait corrigés. Au bout de quelques années d’études, l’école vous faisait subir un examen et on devenait ingénieur.

Ingénieur ! Quel rêve ! Sortir enfin de la classe des parias, vivre la vie supérieure de l’intelligence.