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des hommes leur rendait le champ libre, leur travail était demandé partout.

D’un coup l’esclave entrevoyait la liberté relative que confère un argent qu’on a gagné soi-même, la certitude qu’elle pouvait en frappant à la porte d’une usine être accueillie et recevoir la somme fantastique de quarante francs pour une journée de travail.

Temps paradisiaque ! Ce n’était que bas de soie, fourrures de lapin, bijoux en fixe, eau de Cologne. On se mettait du rouge aux lèvres, on enfilait des bas de soie pour aller à l’usine. Car il fallait y aller, évidemment ; mais on ne peut pas tout avoir.

Lorsque le maître venait en permission, il trouvait sa femme teinte en jaune. Quoi, alors ? Non seulement le gouvernement l’avait pris, mais il fallait encore qu’on lui prenne sa femelle. Où est le plaisir avec une femme au visage et aux mains couleur citron. Mais la femme se redressait : « Qu’est-ce qui te prend. Ne savais-tu pas que je suis aux munitions ; c’est la mélinite.

Pour les chaussettes symboliques, elle l’envoyait promener… Il y a des trous… flanques-les aux ordures et achètes-en d’autres… Le monde renversé, quoi. Oh, cette guerre !

Des pacifistes ont vivement reproché aux femmes d’avoir consenti à fabriquer des engins de meurtre. Il y a bien des choses dans ces reproches ; de l’hypocrisie, de la misogynie, etc., il est d’ailleurs dénué de fondement. Les femmes reléguées hors la vie sociale depuis toujours, ne sauraient d’un coup se révéler pacifistes révolutionnaires. Évidemment, elles n’aiment pas la guerre qui leur prend leur homme et leur fils ; mais elles ne se croient pas en état de l’empêcher.

Les hommes directement intéressés à la guerre y allaient comme des moutons à l’abattoir. Et les heureux qui avaient réussi à échapper au front ne se refusaient nullement à fabriquer les munitions qui iraient tuer leurs camarades du prolétariat allemand.

Jamais d’ailleurs un ouvrier moyen de l’un ou l’autre sexe, une poignée d’anarchistes mise à part, ne se demande si les choses qu’il fabrique à l’usine auront une destination idoine. Ce qu’il considère uniquement, c’est le salaire. Les femmes faisaient de même ; elles pensaient que quarante