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voir à sa propre destinée, de conquérir par le travail la table et le vêtement, et, de proche en proche, le bien-être et le loisir. Seulement elle a mis à côté de lui le mal, sphinx mystérieux, pour lui dire : Devine l’énigme, et je te promets l’empire ; et en même temps, et par une admirable symétrie, elle a déposé l’intelligence en lui pour deviner le sphinx et pour le tuer.

Le premier mal de l’homme, le mal instant, le mal constant, c’est le besoin de manger, c’est la faim, surtout à l’origine, dans la faiblesse native de son organisation. Il passe alors sa vie à poursuivre sa proie du premier au dernier jour de l’année. La difficulté de l’atteindre à travers le fourré perpétuel du premier âge le ramène à la réflexion. Il met la tête dans sa main, il unit une idée à une autre, une corde à une branche courbée, il tend l’arc et il emprunte la rapidité de la flèche pour tuer à distance. Il vit de la vie chasseresse, première époque de la civilisation. Il couche sur l’herbe et il dort à la belle étoile.

Dans cette civilisation en plein vent, aucun lien de l’homme avec l’homme, ni de l’homme avec la terre. On dirait l’anathème porté contre Caïn appliqué dans toute sa rigueur : Vagus et profugus eirs super terram. Chacun chasse pour son compte, et tout au plus fait bande un instant pour battre la forêt et traquer le gibier. L’association tombe d’elle-méme avec la cause qui l’a produite et disparaît après la curée. Nulle trace de la famille à proprement parler. L’amour est une rencontre.