Page:Pelletan - Le Monde marche.djvu/80

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Elle en serait une assurément si elle avait duré ; mais comme le progrès la rachète de jour en jour et l’emporte dans son apothéose, elle tourne à la gloire de l’homme au lieu de tourner à son humiliation. Plus bas est le départ, plus haut le sommet, et plus aussi l’immensité de l’ascension proclame l’immensité de la destinée. Pour être sorti d’une cabane de chevrier, l’empire romain en a-t-il eu moins de mérite à vaincre l’univers, et le christianisme à le convertir à l’Évangile pour être né dans la crèche d’une étable ?

Si je vous conteste la légende de l’Eden, c’est uniquement pour l’acquit de ma conscience, car je vous accorderais ce fait de mythologie, que vous n’auriez pas gagné un argument de plus contre la théorie du progrès.

Tenez-vous absolument à ce premier moment de béatitude ? J’abandonne la partie pour abréger entre nous le chapitre des incidents.

Eh bien ! oui, l’homme a commencé par vivre comme nous rêvons, mieux que nous rêvons, au milieu d’une nature attendrie, amoureuse, attentive, souriante, uniquement empressée à le bercer du matin au soir et du soir au matin, de caresses et de voluptés, d’extases et de rêveries.

Il passait, et la terre lui ouvrait d’elle-même un chemin ; il foulait l’aspic du pied, et l’aspic lui baisait le talon ; il avait faim, et la branche secouait le fruit sur l’herbe ; il avait soif, et la naïade inclinait vers lui l’urne de cristal ; il reposait, et la fleur parfumait son som-