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réalité ? Un supplice tellement épouvantable que les anciens l’ont relégué dans l’enfer et l’ont nommé le rocher de Sisyphe. Et vous croiriez que, sans être condamnés et maintenus de vive force à cette torture par les fourches et par les tridents, nous consentirions encore, nous, hommes de progrès, à porter plus cruellement que les autres hommes, en vertu même de nos meilleurs sentiments, la mystification sanglante de cet enfer à ciel ouvert, et à donner à un Dieu ironique une nouvelle occasion de nous châtier une fois de plus, pour avoir cru à la parole qu’il avait déposée au fond de notre cœur, pour avoir espéré de l’humanité sur la foi de sa révélation, et avoir aspiré, de toute l’énergie de notre dévouement, à la réalisation de cette espérance ? Non, non ; puisque, en créant l’instinct du progrès, la Providence a triché l’humanité, pourquoi jouer plus longtemps une partie de dupes déjà perdue de toute éternité, et mettre sur ce dé pipé une plus grosse somme que les autres joueurs ? Nous sommes des hommes, en dernière analyse, et si nous sommes les bafoués de la création, ne prêtons pas du moins les mains aux quolibets atroces de la destinée à notre égard.

Voyez ensuite dans quel chaos nous tombons avec la doctrine du progrès relatif nécessairement suivi de décadence. Je comprendrais encore votre théorie tant que l’humanité monte, parce qu’alors l’instinct du progrès, ce sentiment surnaturel, comme vous dites, ce tentateur divin au perfectionnement de l’homme, aurait du moins