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sur les feuilles de papier. Elles vivent aussi dans l’esprit de l’homme, sous la garde sacrée de la mémoire : pour les détruire, il faut les chasser de ce sanctuaire et bouleverser le sanctuaire lui-même de fond en comble, et dénaturer l’essence même de la pensée. Or connaissez-vous une pluie de soufre assez magique pour opérer ce miracle ?

Pour que le progrès tombe en défaillance et que l’homme rétrograde à la barbarie, il faut préalablement que sa main sèche, que la parole tarisse sur sa lèvre, que sa pensée croule de la science dans l’ignorance. Il reculerait alors, au delà du sauvage, dans l’idiotisme. Le sauvage vit comme l’enfant dans l’ignorance, sans que cette ignorance cependant préjuge aucune impossibilité pour le développement de son intelligence. Mais quand l’homme, dans la plénitude de l’âge, après avoir connu la science, retombe tout à coup à l’état d’enfance, c’est qu’il a passé à l’état d’idiotisme, qu’il a perdu la faculté de penser. Le mal alors est sans remède. Comment d’ailleurs nous figurer la fuite et la disparition subite du cerveau humain, de la géométrie, de la mécanique, de la philosophie, de la chimie, de l’astronomie ? Avez-vous entendu quelquefois, la nuit, les heures battre de l’aile au sommet du clocher, et prendre leur vol dans l’espace en ne laissant après elles, sur l’ombre palpitante, qu’une note insensible qui va sans cesse expirant à l’oreille ? Les idées aussi, comme les heures échappées de la cloche, fuiraient donc de la tête de l’homme après avoir dit