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le prendre pour le régulateur suprême de son travail. Le temps est son élément, sa matière première, et il en use largement à sa façon, en maître et non en esclave. Il n’est pas ouvrier à l’heure, obligé de justifier d’une quantité mathématique de besogne entre un lever et un coucher de soleil. Il réclame pour le déploiement de son œuvre plus d’espace et plus d’indépendance.

Nous autres, existences finies et courtes, nous avons des règles bornées et courtes comme nous, et nous voulons voir les choses aller selon ces règles et ces tendances géométriques de notre esprit. Nous comptons par un, deux, trois, et nous aimons que le progrès, en marchant, batte la même mesure. Mais le progrès a sa géométrie à lui, plus ample et plus souple que la nôtre, plus dramatique surtout et plus incidentée. Il a en dédain la monotonie et la régularité. Comme la vie elle-même, il donne la préférence à l’écart et à l’inattendu. Il va, il vient, il hésite, il oscille, mais il avance toujours. L’astronomie a remarqué que la terre, en tournant autour du soleil, ne trace pas une courbe parfaite, mais une courbe dentelée par une innombrable série de vibrations. Voilà l’image du progrès. Il a, lui aussi, ses perturbations sur la ligne de son orbite.

Il ne fait pas marcher tous ses développements, de front, dans l’ordonnance stratégique des soldats à la parade ; tantôt il pousse un peuple en avant, tantôt il en pousse un autre, tantôt il fait une œuvre, et tantôt il en fait une autre ; il passe de la science à l’art, et de l’art à