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mander l’idée de continuité indispensable à l’idée de bonheur. La joie de la matière, c’est la sensation. En vain voudrais-je retenir la sensation sur la corde où elle frémit, elle passe et coule comme l’eau dans la main de l’enfant, elle meurt dans son triomphe et disparaît à l’exemple de l’éclair dans son explosion ; un moment l’apporte, un moment l’emporte, et en fuyant elle ne laisse après elle que vide et silence. L’acte est court, l’entr’acte est long, a-t-on dit, du bonheur ainsi compris. Vainement l’homme de volupté veut multiplier l’acte pour reprendre le bonheur évanoui, à chaque fois qu’il lui échappe, et le prolonger indéfiniment de récidive en récidive ; à force d’interpeller la sensation, il en épuise bientôt la saveur, il arrive bientôt à la satiété et par la satiété à la mélancolie. Dans son impatience de jouir, il a brisé l’instrument même de la jouissance, et triste comme Sardanapale et mort comme lui à l’émotion, il n’a plus qu’à monter d’avance sur son bûcher au milieu des spectres de ses voluptés passées.

C’est qu’en créant l’homme double la Providence a équilibré en lui sa double nature, que le corps a sa part, l’âme sa part, et qu’à l’heure même où l’un usurpe sur l’autre, l’homme rompt l’équilibre et tombe dans la tristesse.

Le corps peut donner le plaisir, mais l’âme seule donne le bonheur, car seule éternelle ici ou réverbération vivante de l’éternité, elle possède seule cette per-