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Et puis, là-bas, plus loin, sous une galerie à perte de vue, une longue file de machines, mues par une âme invisible, à une heure donnée, crient, sifflent, tournent, frappent, les unes majestueusement, les autres frénétiquement, et toutes avec des poses fantasques, des soubresauts, des coups de tête, des coups de dent, des mouvements de haut en bas, des mouvements de serpents, des mouvements d’éclairs. Ici elles mâchent à vide, là elles broient le métal. Ici elles font à peine une légère inclination et semblent saluer le passant ; là, profondément recueillies en elles-mêmes, elles gardent une mystérieuse immobilité. On dirait une ménagerie rugissante ou accroupie, grinçante ou silencieuse, d’hippogriffes et de léviathans de fonte et d’acier.

Eh bien ! ce pandémonium tumultueux d’œuvres et de machines, éclairé à la lueur de l’histoire, conscience écrite de l’humanité, c’est l’homme lui-même, c’est l’homme émancipé de la servitude, c’est l’homme d’abord prisonnier de la nature, la terrassant à son tour, la tenant en main, et la menant en laisse derrière la roue de son char de triomphe. Voilà toutes ses victoires étalées à l’infini au regard, sur la pierre et le bronze, sur l’or et l’argent, sur l’écorce et sur le tissu, sur le verre et sur l’argile, sur le cuir et sur le papier. La terre, rude amante terrassée dans les larmes, sourit enfin au triomphateur et lui livre généreusement ses secrets, ses écrins, ses trésors, ses parfums. Partout où le soleil brille, il mûrit une moisson ; partout où le vent passe,