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elle, agit pour elle à l’insu d’elle-même et en dehors de sa participation. Plus de liberté, plus de conscience ; l’homme tient le poignard, mais du haut du ciel un autre frappe le coup ; l’homme tue son père, l’homme tue sa mère, et il peut ensuite lever la main vers le ciel sans qu’une seule goutte de sang encore chaude sur cette main-là puisse crier contre lui, car il a encore moins pris de part au meurtre que le fer laissé dans la blessure. Pitié donc pour le meurtrier autant que pour la victime !

Nous, au contraire, nous avons rétabli l’homme au théâtre dans la possession de sa liberté et de sa volonté. Ce qu’il fait, il peut le faire ou ne pas le faire ; ce qu’il veut, il peut le vouloir ou ne pas vouloir. C’est désormais dans le duel de la vertu contre la passion, de la conscience contre la destinée que nous avons posé l’intérêt de la tragédie. Les faits de cette vie sans doute ne nous appartiennent pas, mais nos résolutions nous appartiennent en toute propriété, et, avec elles et grâce à elles, vaincus ou écrasés par les circonstances, nous remontons du fond de l’abîme au-dessus des événements. Vous voulez nous contraindre à l’apostasie ; voici notre poitrine, nous sommes les martyrs, c’est-à-dire les héros de la conscience. Allez, licteurs ! nous descendons de Polyeucte, nous vous suivons la tête plus haute que la hache de vos faisceaux, et sur le chemin du supplice, nous pourrons dire que nous marchons à la gloire ; car nous y marchons en effet avec la tranquillité auguste de notre immortalité.