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ce mot ne rende aussitôt sous votre doigt le son du progrès.

Nous pouvons sans doute dans une heure de fatigue donner congé au progrès, et tirer le rideau sur sa lumière pour prendre un instant de repos ; le progrès n’en est pas moins toujours là, qui nous veille, qui nous entoure, qui nous tient, nous étreint, nous pénètre de toutes parts et par tous les pores à la fois. À l’heure même où, assis à notre table, nous essayons de nier, la plume à la main, son existence, le progrès, assis à notre côté, nous regarde et sourit de notre illusion ; car cette table, cette plume, cette encre, cette chambre, cette fenêtre, cette gravure, cette glace, tout ce que nous voyons, tout ce que nous touchons, nous renvoie le progrès et nous prêche le progrès ; quelque chose que nous fassions, quelque chose que nous disions, nous faisons acte de progrès ou nous nommons une conquête du progrès. Nous attaquons le progrès, mais c’est avec la presse, une arme du progrès. Nous renonçons au progrès, mais le mot même dont nous nous servons pour ce renoncement tourne dans notre bouche et dit progrès.

Si le livre est un perfectionnement sur le rapsode, la multiplication du livre est aussi une conquête de plus de la civilisation, puisqu’elle augmente le nombre des convives des fêtes de l’intelligence. Ainsi l’imprimerie, en vomissant par minions, par milliards à coups de balancier, de ses cratères béants, la parole écrite sur le monde