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chir les lignes quel qu’il fût. La consigne était si rigoureuse, que le premier jour, un petit bateau à vapeur qui faisait le service de Suresnes au Pecq ayant voulu faire le trajet comme d’habitude, un poste allemand tira sur lui et tua des passagers.

Dans les communes suburbaines, les Prussiens firent des décharges sur les foules désarmées.

Telle était la situation des vaincus. Ils étaient pris dans un mur mobile de fusils, de baïonnettes et de canons : le mur se resserrait sur eux de jour en jour, d’heure en heure : la ligne de massacre se resserrait avec lui. Pas une fissure pour s’échapper. Il y eut des battues dans les égouts. Il y en eut dans les catacombes. Les malheureux qui s’y hasardèrent, tombèrent dans les mains des vainqueurs, ou se perdirent et moururent de faim.

Edgard Poe a imaginé quelque chose d’analogue dans un conte terrible intitulé : l’Inquisition. C’est l’angoisse du malheureux qui voit descendre sur lui, de millimètre en millimètre, seconde par seconde, un pendule d’acier dont la pointe le déchirera ; ou les murs de son cachot se rapprocher avec lenteur pour l’étouffer. Seulement, ici, le supplice s’appliquait à la seconde ville du monde, et durait une semaine.

On devinerait, si on ne le savait pas, la folie furieuse que cela développa soit parmi les insurgés, soit même dans la population. Il y avait dans ce cercle de mort, des hommes exaspérés, exténués, se battant jour et nuit, la figure noire de poudre, mangeant à peine, ne dormant plus, ne se soutenant plus que par la fièvre du combat et par la surexcitation de l’alcool, et ils étaient traqués de rue en rue, de barricade en barricade, enfermés dans un espace toujours plus étroit, certains que dans quelques heures ou dans quelques jours, leur corps irait grossir les tas de cadavres. Au bout de quarante huit heures,