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camarade allait pousser un cri ; je le retins ; j’avais reconnu les bandes bleues de Versailles. C’était un corps appelé les « volontaires de la Seine. » Un officier demande à quelques femmes qui se tenaient sur les portes s’il y a là des gardes nationaux. Elles répondent : « Oui. — Qu’ils descendent. »

» Personne ne se souciait de répondre à l’invitation.

Seuls, mon ami et moi nous nous hasardons. Dès le pas de la porte, vingt fusils se braquent sur nous ; deux hommes nous collent au mur. Les femmes qui étaient là poussent des cris terribles, se jettent aux pieds de l’officier. « Relevez vos fusils », dit-il à ses hommes. Puis, se retournant vers nous : « Allez chercher vos armes. »

Nous rapportons nos deux chassepots. L’officier les retourne, les flaire, voit qu’ils n’ont pas tiré. Il nous interroge : puis il se met à réfléchir profondément en nous regardant de travers ; jamais minutes ne me parurent plus longues ; mes tempes battaient les secondes à grand bruit. Enfin, il nous dit : « J’ai habité ce quartier ; j’en ai gardé un bon souvenir. Allez, et prenez garde. La ligne nous suit. Elle sera peut-être moins douce. »

» Pendant ce dialogue, sur le trottoir de la rue Lepic, à deux pas, nous entendions claquer les coups de fusil. On fusillait sans interruption. Retenus prisonniers, nous n’aurions pas été loin.

» Les bandes bleues partent ; les pantalons rouges arrivent. Ils forment les faisceaux. Ils commencent les perquisitions. D’abord, on donne l’ordre de livrer les armes et les munitions ; puis on demande s’il y a des officiers fédérés ; puis on dit qu’on va faire une visite domiciliaire, et que tous ceux qui auront des munitions chez eux seront fusillés. À ce moment, au dehors, le clairon sonne, la mousqueterie éclate : les soldats rompent les faisceaux et disparaissent. Le bruit court que les