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ou pour un non. J’en ai des exemples que je n’ose pas citer, il y a un moment où les fusils partent tout seuls.

J’ai recueilli un grand nombre de récits d’exécutions isolés. Je cite au hasard, entre cent :

Un chanteur de café-concert, rue de la Vieufville, fusillé parce qu’on a trouvé chez lui un costume de lignard qu’il avait pour chanter les Bocquillon (pareil malheur a été attribué par erreur à un acteur du Châtelet.)

Un charron du nom de Junger, habitant au coin de la rue Riquet et de la rue d’Aubervilliers, était malade dans son lit : sur une dénonciation absurde, on l’en tira pour l’exécuter.

Un marchand de couleurs, nommé Tanguy, arrêté parce qu’il avait les mains noires, on crut qu’elles étaient noires de poudre : il reçut des coups de sabre, et ne doit la vie qu’aux soins de quelques fédérés arrêtés avec lui qui le portèrent à Versailles.

Un vieillard sans armes, sur lequel on tira rue Clignancourt, tandis qu’il allait prendre du pain chez madame L…, boulangère. Madame L… recueillit le cadavre.

Deux frères Cabouret, tripiers, habitaient rue Clignancourt, 8. Au moment de l’entrée des troupes, ils étaient à travailler dans leur cave en bras de chemise et en tablier de marchand de vin. Le frère aîné remonte pour regarder ce qui se passait par le trou de la serrure. Il voit les troupes, ouvre sa porte, appelle son frère. Celui-ci avait un pantalon de garde national. Ce pantalon le fait arrêter. L’aîné proteste : « C’est mon frère… nous ne nous sommes pas battus… nous étions à travailler, » On les emmène tous deux au fossé de la barricade, au bas de la chaussée Clignancourt. Ils se tenaient embrassés : ils moururent en s’embrassant. Deux jours après, on retira leurs deux cadavres qui s’embrassaient encore.