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fusilla tous. Une heure après, environ, un officier vint examiner le charnier. Il resta assez longtemps à regarder un des corps, le toucha plusieurs fois de la canne, sortit en faisant un geste qui semblait dire : Celui-là n’est pas mort. La foule se précipita dans l’enclos après son départ : des âmes charitables emportèrent le fédéré qui vivait encore.

Dans la foule, se trouvait une vieille femme accompagnée d’un chien. Le chien se jeta sur un cadavre, dont la figure était couverte de sang. La pauvre bête, tantôt hurlait lamentablement, tantôt léchait doucement la figure du fusillé… La femme s’approcha, s’évanouit… Le corps était celui de son mari.

C’est surtout chez les chiens qu’on trouva des sentiments humains dans la semaine de Mai.

Les habitants de Montmartre vécurent véritablement au milieu des cadavres. Je ne sais rien qui donne de leur sort une si poignante idée que les propos rapportés par le journal le Soir (no du 31 mai). Le 28, devant le café du Grand-Delta, on vidait l’horrible fosse commune creusée au milieu de la place, et dont nous aurons à reparler. Les cadavres, à moitié décomposés, étaient chargés dans des tapissières. Tous les spectateurs étaient pleins d’horreur.

Ici, je laisse la parole au journal le Soir :

« Une jeune fille qui assistait à ce spectacle me dit :

« J’en ai vu bien d’autres près de la Tour, où je demeure. Dans un trou on a fourré cent cinquante gardes nationaux ; c’est une peste : il y a des mouches en masse. Mon père est mort dimanche ; nous l’avons gardé trois jours, et c’est moi, avec ma sœur et mon frère, qui sommes allés le porter dans un drap au cimetière. »

Il se dégage de telles scènes d’horreur un irrésistible vertige de mort. On finit par tuer un homme pour un oui