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nant curieusement, pour se retirer ensuite en chuchotant et à voix si basse que je n’entendis pas leurs malveillants commentaires.

» À ce premier groupe un second avait succédé, puis un troisième et tous se livrant au même jeu.

» Intrigué à l’excès, je voulus me rendre compte de l’énigme et vis alors un personnage, évidemment haut placé et pour lequel il n’y avait pas de consigne, qui allait chercher ses amis auxquels il me livrait ensuite complaisamment en spectacle.

» Une fois de plus, je le vis revenir, il avait offert galamment le bras à une vieille dame, et tous deux entrèrent.

» Celle-ci, sans plus de façon, s’était approchée de moi, et, son lorgnon d’or sur les yeux, détaillait toute ma personne avec la tranquillité qu’elle eût mise à expertiser une potiche de Chine ou un meuble de Téhéran.

» Son examen terminé, se tournant vers son cavalier, de sa voix la plus tranquille, je l’entendis qui disait :

» — Tout à fait l’air d’un coquin, n’est-ce pas, cher monsieur ? tout à fait ! tout à fait !

» J’aurais dû rire ou avoir pitié, c’est certain ; mais qu’on songe à l’état d’esprit dans lequel je me trouvais alors, à l’irritation qu’il me fallait contenir depuis mon entrée dans Versailles, et l’on comprendra peut-être que, n’y tenant plus, je m’avançai, pâle, menaçant, droit sur l’homme en m’écriant sourdement :

» — Si une fois de plus, monsieur, je suis l’objet de vos outrages, je vous brise le crâne d’un coup de chaise !

» Et mon geste accentua mon dire de telle façon que je les vis tous deux s’enfuir épouvantés !