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possible. J’ai, sur ce point, des témoignages concluants, concordants, irréfutables. Toutes les relations, d’origines très diverses, que j’ai sous les yeux, le rapportent. Les prisonniers avaient pour cabinet d’aisances un recoin de la cour, en face d’une meurtrière, un amas de terre où l’on allait s’accroupir ; mais si, en se relevant, le prisonnier montrait la tête au factionnaire placé derrière l’embrasure d’en face, un coup de fusil partait ; et l’on faisait transporter le cadavre par les compagnons du mort. Il y avait des morceaux de cervelle sur le mur.

L’horreur dépassa toute mesure dans la nuit du 27 au 28. Cette nuit-là, il y eut une véritable tempête ; des torrents de pluie s’abattaient, sans s’arrêter, sur le camp au milieu d’épouvantables coups de tonnerre : l’eau tombait par seaux sur le troupeau grelottant aux haillons collés sur la peau et vautré dans un véritable marécage. C’était à devenir fou ; plusieurs, en effet, eurent de véritables transports. Rester noyé dans la boue, le corps dans l’eau, la tête dans la fange, était impossible ; le bouleversement de la nature avait ébranlé tous les esprits : le troupeau s’agita, beaucoup se dressèrent, s’étirèrent, cherchèrent un abri, ne sachant que devenir… alors les embrasures firent feu, les détonations éclatèrent ; les balles, la mitraille allèrent frapper au hasard dans ce grouillement de prisonniers éperdus ; la fusillade, la foudre, l’orage, le râle des blessés et des mourants, se mêlèrent toute la nuit avec une formidable épouvante… il y eut des prisonniers qui se levèrent, marchèrent au hasard, aveuglés par la pluie, franchirent les limites, furent tués par les sentinelles… le petit jour éclaira les cadavres.

C’est ce qu’on appela la révolte de Satory.