Page:Pelletan - La Semaine de Mai.djvu/305

Cette page a été validée par deux contributeurs.

casque. Quoique immobile et dessinant les lignes anguleuses d’une statue allongée sur un tombeau, il n’était pas mort cependant, et dans son œil, qui palpitait sous l’aveuglante lumière, vivait un regard noir de haine irréconciliable et de rage impuissante. Rien de plus effrayant que ce Nestor de la révolte, que ce patriarche de l’insurrection, à la fois immonde et vénérable, et qui semblait poser le Père éternel sur les barricades.

» Une soif ardente, inextinguible brûlait ces misérables, altérés par l’alcool, le combat, la route, la chaleur intense, la fièvre des situations extrêmes et les affres de la mort prochaine, car beaucoup croyaient trouver la fusillade sommaire au bout de leur voyage. Ils haletaient et pantelaient comme des chiens de chasse, criant d’une voix enrouée et rauque, que ne lubrifiait plus la salive : « De l’eau ! de l’eau ! de l’eau ! » Ils passaient leur langue sèche sur leurs lèvres gercées, mâchaient la poussière entre leurs dents et forçaient leurs gosiers arides à de violents et inutiles exercices de déglutition. Certes, c’étaient d’atroces scélérats, des assassins, des incendiaires, peu intéressants à coup sûr, mais dans cet état, des bêtes mêmes eussent inspiré de la pitié. Des âmes compatissantes apportèrent quelques seaux d’eau.

» Alors toute la bande se rua pêle-mêle, se heurtant, se culbutant, se traînant à quatre pattes, plongeant la tête à même le baquet, buvant à longues gorgées, sans faire la moindre attention aux horions qui pleuvaient sur eux, avec des gestes d’une animalité pure, où l’on aurait eu peine à retrouver l’attitude de l’homme. Ceux qui ne pouvaient, trop faibles ou moins agiles, approcher des seaux posés à terre, tendaient les mains d’un air suppliant, avec de petites mines, comme des enfants malades qui voudraient avoir du nanan. Ils poussaient