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uniforme, tant la couche de poussière qui le recouvrait était épaisse, et la longue lance à fer aigu, sans banderole, appliquée à leur cuisse, indiquait seule à quelle arme ils appartenaient. Toute particularité avait disparu. Ce n’était plus le soldat, c’était le guerrier pris en lui-même, le guerrier de tous les temps et de tous les pays, aussi bien un Romain qu’un Cimbre, un Grec qu’un Mède. Tels qu’ils étaient, ils eussent pu figurer sans anachronisme dans les batailles d’Alexandre et de César. Leurs chevaux, simplement harnachés, mouillés de sueur, blancs d’écume, ne se distinguaient par aucun détail moderne. Ils gardaient un caractère de généralité antique.

» Nous regardions ces cavaliers de si grand style, regrettant qu’un peintre de génie ne se trouvât pas là pour fixer d’un trait rapide ces belles lignes naturellement et naïvement héroïques, et aussi pour noter les types non moins curieux des captifs, devenus des prisonniers barbares, Daces, Gètes, Hérules, Arabes, comme on en voit dans les bas-reliefs des arcs-de-triomphe et les spirales des colonnes Trajane. Ils n’avaient plus de costume spécial désignant une nationalité ou une époque. Un pantalon, une blouse ou une chemise ; tout cela fripé, froissé, déchiré, collé au corps par la sueur, ne les babillait pas, mais les empêchait d’être nus sans conserver forme précise de vêtement.

» Blouse, bliaud, sayon, tunique, à cet état, se ressemblent fort ; et les braies sont, dans la sculpture antique, le signe distinctif du barbare ; plusieurs s’étaient roulé des linges autour de la tête pour se préserver du soleil, car on enlève leur coiffure aux prisonniers, afin de les rendre plus facilement reconnaissables parmi la foule, s’ils essayaient de s’enfuir. D’autres avaient garni leurs pieds meurtris de chiffons retenus par des