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plus futiles, les autres ayant été fusillés à Paris, et il jugera la détresse et les souffrances des prisonniers sur le tableau magistral dont le styliste olympien décrit, avec une insensibilité marmoréenne, les curiosités plastiques.

« Il nous sembla voir sur la place d’Armes de Versailles, agrandi aux proportions de nature, un de ces merveilleux dessins où Decamps, cherchant le style antique, représentait des épisodes de la vie barbare : campements, attaques, déroutes, défilés de captifs, migrations, charroi de butin, conduite de troupeaux enlevés et autres sujets de ce genre, que le succès de la Bataille des Cimbres l’engageait à traiter.

» C’était une halte de prisonniers qu’une escorte conduisait à Satory. Il faisait ce jour-là une chaleur à mettre les cigales en nage. Pas un souffle d’air, pas un nuage au ciel. Le soleil versait sur la terre des cuillerées de plomb fondu.

» Ces malheureux, amenés des portes de Paris à pied, par des hommes à cheval qui les forçaient involontairement de presser le pas, fatigués du combat, en proie à d’affreuses transes, haletants, ruisselants de sueur, n’avaient pu aller plus loin, et il avait fallu leur accorder quelques instants de repos. Leur nombre pouvait s’élever à cent cinquante ou deux cents. Ils avaient dû s’accroupir ou se coucher à terre, comme un troupeau de bœufs, que leurs conducteurs arrêtent à l’entrée d’une ville.

» Autour d’eux, leurs gardiens formaient le cercle, accablés comme eux de chaleur, se soutenant à peine sur leurs montures immobiles et s’appuyant la poitrine au pommeau de leur selle. Le pistolet chargé semblait peser à leurs mains, et visiblement ils luttaient contre le sommeil. On n’aurait pu dire la couleur de leur