Page:Pelletan - La Semaine de Mai.djvu/290

Cette page a été validée par deux contributeurs.

une femme, avec un enfant sur les bras. Un officier prit l’enfant sur son cheval. Il est mort de convulsions pendant la route.

Cette colonne, une des premières (elle faisait le voyage le mardi 23, au matin), avait été cordée avec une brutalité particulière. Les liens coupaient les poignets et se tachaient de sang. En passant près des fortifications, les prisonniers entendirent exécuter un homme qui, disait-on, ne pouvait plus marcher. Cette mort apparut comme une délivrance à un des malheureux auquel son bracelet de cordes causait une intolérable souffrance. Il se mit à injurier l’escorte pour se faire fusiller aussi.

On s’arrêta à Longchamp : il fallut bien se décider à détacher les liens ; sans cela, on aurait été réduit à abattre sur place toute la colonne. Pour la plupart, on ne put pas dénouer les cordes : il fallut les couper. À Boulogne, des habitants charitables offrirent de l’eau aux prisonniers. Le soleil était terrible. M. L*** se trouva mal ; ses compagnons ne pouvaient plus le porter : il eut une attaque d’apoplexie. On commanda de serrer la colonne, mais ni les coups de crosse, ni les coups de baïonnette ne purent faire marcher les prisonniers sur le corps de leur compagnon. On disait : « le chirurgien s’est empoisonné. » M. L***, qui n’avait pas complètement perdu connaissance, revint à lui. Une de ces cantinières irrégulières, qui sont à la suite des troupes, passait avec sa carriole ; elle accepta de transporter le malade.

À Versailles, la cantinière fut insultée pour avoir prêté sa carriole à ce « scélérat ». Elle eut beau dire qu’elle avait été requise, la foule était impitoyable. Elle déposa son malade ; deux lanciers s’en chargèrent. Ils lui dirent : accrochez-vous au pommeau de la selle.