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le crâne. Ils mouraient de soif. Les cordes qui les liaient leur déchiraient les poignets. Ils en souffraient à s’évanouir ; attachés de trop près, ils se piétinaient les uns les autres sur les talons. Il y avait là des malades, des blessés, des vieillards, des femmes, des femmes enceintes ! Leur escorte de cavalerie les faisait marcher à coups de plat de sabre et souvent à coups de pointe. Beaucoup étaient en sang. Les plus faibles, à moitié évanouis, se laissaient traîner. Comme tous étaient liés ensemble, leur poids inerte tirait la corde commune, le lien serrait autour des poignets enflés qui entrait dans la chair… Et il y avait sur toute la route un seul repos, à Saint-Cloud.

Ceux qui subissaient cette torture étaient les bienheureux qui n’avaient pas été fusillés. — Et plus de quarante mille Parisiens, chiffre officiel, firent ainsi la route ! et sur ces quarante mille, même pour la justice militaire, il y avait trente mille innocents !

J’ai sous les yeux cinq récits de ce sinistre voyage : les uns écrits par les prisonniers ; les autres écrits par moi sous leur dictée. Presque tous ces récits me sont faits par des hommes complètement étrangers à la Commune, arrêtés par hasard, relâchés sans même avoir passé en jugement. L’un est d’un médecin arrêté dans son ambulance ; l’autre est d’un honorable industriel pris parce qu’il se trouvait dans la maison du Rappel. Je vais résumer les plus intéressants de ces récits. Ils donneront l’idée de ce qu’était le voyage.

J’ai déjà parlé de M. L***. Nos lecteurs l’ont vu arrêté à l’ambulance des Batignolles, conduit au parc Monceau, lié de cordes, qui lui serraient cruellement les poignets. Avant que la colonne partît, un gendarme passa dans les rangs et jeta à coups de poing les coiffures par terre. Puis on se mit en route. Il y avait là