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Pourtant quelle différence y avait-il, entre les prisonniers et ceux qui leur prodiguaient les injures ? Celle que le hasard des arrestations avait faite. Tel, qui injuriait, qui frappait, aurait pu, par le caprice d’un sergent ou la délation d’un ennemi personnel, être à la place de celui qu’il couvrait d’insultes. Ce n’était pas seulement la Commune, c’était Paris qui était suspect. Aussi les officiers et les soldats jetaient-ils volontiers les spectateurs dans le convoi. J’en ai nombres d’exemples.

Je vois, dans la relation manuscrite d’un prisonnier du XVIIIe arrondissement, que tant que sa colonne traversa Montmartre, la population fut bienveillante ; dans la foule, les hommes saluaient, les femmes faisaient le signe de croix comme sur le passage d’un enterrement, tant on était persuadé du sort qui les attendait. Mais, place Moncey, la foule devint hostile et se mit à crier : « À mort ! Fusillez-les. » Un prêtre frappa de sa canne et, à côté, un braillard se distinguait par la violence de ses insultes. « — Toi, dit un lieutenant, tu beugles trop fort pour être sincère… » et il fit mettre dans la colonne de prisonniers le braillard qui se débattait en furieux. Sa résistance lui valut nombre de coups de crosse… Pendant le reste du parcours, il fut traité comme il venait de traiter les autres.

J’ai raconté les aventures du médecin L***, pris à l’ambulance des Batignolles et conduit au parc Monceau. Quand la colonne de prisonniers fut formée, une foule serrée la regardait. « Vous autres, dit l’officier, si vous approchez trop, on vous mettra dans la colonne. »

Un témoin oculaire, dont j’ai le récit manuscrit, a vu une colonne qui suivait la rue de Clichy : « Parmi les soldats, dit-il, il y avait des farceurs qui passaient