page admirable, où l’on ne sait si l’on doit s’étonner plus de la grandeur du tableau, ou de la parfaite insensibilité de peintre, Gautier, dis-je, y reconnaît, au point de vue purement plastique, une scène d’un caractère antique, une vision des temps barbares, quelque chose comme un bas-relief de la colonne Trajane transportée dans la vie moderne, — il pouvait remonter plus haut encore. C’est dans les sculptures d’Égypte ou d’Assyrie, qu’on voit ces défilés de populations prisonnières, aux poignets retournés et garrottés, les femmes avec leurs enfants sur le dos, marcher avec une escorte de gardiens prêts à devenir des bourreaux.
Tel était le recul qui s’était fait dans les mœurs publiques.
Avant d’être réunis en longs convois et d’être mis en route pour Versailles, les prisonniers avaient à se rendre au point où on les concentrait. Des scènes d’une incroyable sauvagerie se produisaient en route. La foule, dans certains quartiers, était féroce. Les huées ne suffisaient plus. Je lis dans le Gaulois du 29 mai (correspondance de Paris, datée du 26) :
« Hier, un des spectateurs, malgré les soldats qui protégeaient un groupe d’hommes pris dans les quartiers suspects, s’est précipité sur l’un d’eux avec une telle violence que lorsqu’on lui arracha sa victime, il tenait entre ses poings des mèches de cheveux ensanglantés. »
Certains quartiers étaient terribles à traverser : surtout le quartier du faubourg Saint-Honoré. Les habitants des riches hôtels de ce quartier avaient quitté Paris pour la plupart ; mais la domesticité restait. Toute l’importante et aristocratique valetaille de grande maison descendait dans les rues, pour insulter, menacer, maltraiter les prisonniers.