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mourir sans protestation, parce que c’était la guerre ! Le peloton d’exécution l’attendait, obscur martyr d’une cause, dans laquelle il ne devait pas même laisser un nom ; il n’y pensait plus ! Tout au redressement d’une injustice, il répétait ; « Non, on n’a pas le droit de vous tuer : je vais parler pour vous. » Il s’adressa à un des lignards qui nous gardaient, pour lui expliquer l’affaire en le priant d’aller le dire au chef. L’officier qui s’aperçut de la chose, cria : « Soldat, si quelqu’un de cette crapule vous adresse la parole, tirez dans le tas ! »

» Le rouge monta au visage pâle du fédéré. Nous nous serrâmes la main en silence.

» On fit l’appel du groupe dont mon mari faisait partie. Tinayre répondit à son tour. On l’emmena avec les autres. Je ne l’ai plus revu ! Depuis ce jour, il n’a pas donné signe de vie. Il n’est pas resté trace de son passage au Châtelet.

» Qu’est-il devenu ???

» La justice militaire, si ardente, si habile à découvrir des coupables dans les rangs des vaincus, n’a-t-elle rien à se reprocher ici ? A-t-elle droit de se laver les mains de cette disparition ? Qui en est responsable ? Est-ce que le ministère public n’avait pas le devoir de, s’en occuper ? N’y avait-il pas là des droits d’orphelins à sauvegarder ? J’avais beau écrire de l’étranger où je m’étais réfugiée après avoir par miracle échappé à la mort, on ne m’a jamais répondu.

» Après neuf ans d’exil, je reviens en France ; j’y ramène mes fils, heureuse de lui donner des ouvriers artistes, dont j’espère faire des citoyens dignes d’elle. Mais la grâce que l’on m’a faite, en me rendant le pays, ne m’a pas donné le droit d’y vivre. Je suis institutrice et ne puis enseigner. Il faut donc que mon soutien naturel ne me soit point ôté. Je réclame comme veuve, une