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vue de l’entrée de la caserne, et qu’on y louait des places.

Un écrivain de premier ordre, artiste fort désintéressé des choses de la politique, et plutôt porté vers les partis monarchiques par ses relations et par ses origines, a vu par hasard cette scène hideuse, et l’a décrite à un de nos amis, avec ce don d’observation exacte, ce sens profond du détail pittoresque et vrai, qui caractérisent son rare talent. Il est revenu de là plein d’horreur.

Il avait vu les condamnés entrer : il avait entendu la déchirante explosion de la fusillade, qui faisait bondir et vibrer, avec une sonorité sourde et profonde, les plaques de métal des portes ; puis, au bout de quelques secondes, comme d’une source intermittente, un flot de sang frais, dégagé par le conduit de la cour, traçait un filet rouge dans le ruisseau de la rue. Enfin, la porte se rouvrait et M. l’aumônier paraissait, son parapluie à la main, le sang clapotant dans ses souliers.

C’est probablement de cet abattoir que venait le flot rouge qui courait dans les eaux du fleuve sans s’y mélanger. « On voyait hier sur la Seine, dit la Petite Presse (citée par la Politique du 31 mai 1871), une longue traînée de sang suivant le fil de l’eau, et passant sous la deuxième arche du côté, des Tuileries. Cette traînée de sang ne discontinuait pas. »

L’indication de la deuxième arche du côté des Tuileries correspond exactement à la situation de la caserne Lobau. À cette date, le combat étant fini, l’endroit le plus proche d’où ce sang pût venir était l’abattoir voisin de l’Hôtel-de-Ville.

Je raconterai prochainement l’histoire d’une des victimes fusillées à la caserne Lobau d’après un très dramatique récit manuscrit que le docteur Robinet a bien