Page:Pelletan - La Semaine de Mai.djvu/220

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Parent, qu’on avait par mégarde laissé à une autre place, et le faisait asseoir sur le même banc : c’était sa condamnation à mort.

Tony-Moilin et lui se serrèrent silencieusement la main.

— Vous aussi, dit le médecin.

Puis ils restèrent silencieux.

Vers minuit, la séance était levée, et les deux condamnés étaient séparés.

Cependant on avait été chercher madame Moilin chez elle, et pendant cet affreux procès on la fit attendre dans une sorte de salle basse. Tony-Moilin y fut amené :

« Qu’a-t-on décidé ? — Je serai fusillé à cinq heures. » Et tous deux passèrent la nuit parlant à mi-voix, dans cette salle terrible, devant des gardes.

Ils échangeaient leurs dernières paroles ; ils s’entretenaient de leur union à légaliser : et je ne sais quel amer scrupule tourmentait l’esprit de cet homme, prêt à donner sa vie pour sa foi ; il avait peur de léguer avec son nom, à celle qui était la compagne de sa vie, l’horreur sanglante de sa mort. Ce même homme, qui acceptait l’exécution la tête haute, demandait doucement ; « Cela ne t’effraye pas, de devenir la femme d’un supplicié ? »

Puis, madame Moilin songeait que dans quelques heures, elle n’aurait plus rien de l’époux auquel la loi allait l’unir, rien, pas même ses restes ; — que la fusillade allait en faire un corps mutilé, troué, haché par les balles, qu’on irait perdre dans la promiscuité de la fosse commune… et le cadeau de noces qu’elle demandait c’était ce cadavre ; et la prière qu’elle adressait à Tony-Moilin, c’était d’obtenir de ses bourreaux qu’elle pût avoir son corps, et que ce corps ne fût pas trop hideusement défiguré.