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ce qu’il faisait : « Élève de l’école des Beaux-Arts. » — La vérité est que M. Forcade n’y était pas encore, mais qu’il comptait y entrer, dans l’atelier d’un peintre fort célèbre pour son exécution minutieuse et l’ingéniosité de ses compositions. Au nom de ce peintre, le colonel Robert s’écria : « Mais, c’est mon cousin !… Comment vous a-t-on arrêté ? » C’est ainsi que M. Forcade fut tiré d’affaire.

Pourtant, le colonel ne le laissa pas partir. « Il est plus prudent que vous restiez avec nous… Asseyez-vous là ». Et M. Forcade continua à assister, mais en spectateur désintéressé, à la séance de cette étrange cour martiale. Parmi ceux qu’il vit juger à partir de ce moment, deux seulement furent épargnés. Quant aux autres, on les voyait partir sous une escorte de soldats : puis on entendait les détonations lointaines que M. Forcade avait déjà remarquées : c’est à ce moment, et en les voyant se reproduire constamment à un intervalle régulier après le départ des condamnés, qu’il les comprit. Il demanda au colonel quel était ce bruit de fusillade ; il reçut cette réponse faite d’un ton brutal : « Cela ne vous regarde pas. »

C’était un spectacle sinistre ; M. Forcade était impatient d’y échapper. Il y avait déjà plusieurs heures qu’il était dans la loge de concierge où la justice du massacre tenait ses assises. Vers minuit, il demanda au commandant la permission de se retirer. « Ne pouvez-vous donc pas veiller comme nous ? » lui répondit l’officier. Et sur la réponse de M. Forcade qu’il était brisé de fatigue, il lui désigna la pièce du fond. Les deux gendarmes y ronflaient magistralement. M. Forcade se coucha près d’eux. Longtemps encore, à travers une somnolence douloureuse, enfiévrée par tous les souvenirs de cette soirée terrible, il entendit, mêlés au souf-