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Commune ?….. » disait le colonel au prisonnier. Puis, brusquement, sans attendre que l’accusé eût rien dit : « Vous en étiez ; cela se voit à votre mine. — Votre âge ? Votre nom ? Avez-vous des papiers ?… C’est bien !… Allez ! » — Le mot « allez ! » était terrible : c’était la condamnation capitale.

Des soldats emmenaient le prisonnier. Puis on entendait deux ou trois détonations lointaines.

Il y avait bien peu de prisonniers épargnés. Ceux-là l’étaient sur leur physionomie. C’était le seul indice dont un tribunal aussi pressé pût tenir compte. Dans ce cas, on les conduisait dans la cour. Les prisonniers que M. Forcade y avait vus en entrant étaient les acquittés. Ceux-là devaient être conduits à Versailles ; et s’ils n’ont pas été fusillés plus tard ni sur la route, ni à Satory, ils ont peut-être survécu.

M. Forcade ne put se rendre un compte exact de toutes ces choses que plus tard. Il ne comprenait pas encore ce qu’on faisait des prisonniers qu’on emmenait. Personne ne prévoyait le massacre qui eut lieu : on avait bien vu les cadavres dans les rues ; on avait pu assister à quelque exécution, mais comment croire à cette tuerie régulière et méthodique ? D’ailleurs, on raisonne peu dans de semblables moments : les idées tourbillonnent dans le crâne ; on se sent une vague stupeur, une sorte de fatalisme inerte. Pourtant, M. Forcade eut la présence d’esprit de profiter du spectacle qu’il avait sous les yeux. Il voyait l’importance que pouvait avoir un document qui établit l’identité du prisonnier. Il avait un permis de chasse sur lui, il le mit à part pour le produire. Puis, il voyait les malheureux jugés sur leur épouvante, sur leur figure bouleversée, sur leur parole inarticulée. Il se prépara à répondre nettement. Quand vint son tour, il sut s’expliquer. On lui demanda