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longues journées, au milieu de Paris conquis, loin du bruit du combat.

J’ai déjà dit que deux de ces « abattoirs » avaient été établis dès le lendemain de l’entrée des troupes, dès le lundi 22 mai, à l’École militaire et au parc Monceau ; nous allons en retrouver beaucoup d’autres. Plus tard, quand nous serons arrivés à la dernière période de la répression, à la prise de Belleville, nous en trouverons de plus affreux encore. Je n’ai pas la prétention de les énumérer tous ; mais j’en passerai en revue un certain nombre. Un premier exemple, celui du Collège de France, dont les journaux du temps ne parlent pas, que je sache, mais sur lequel j’ai eu les détails les plus précis, permettra de juger ce qu’étaient ces centres de tuerie.

Je suis ici le récit d’un témoin dont j’ai déjà entretenu mes lecteurs : c’est un peintre de talent, M. Raoul Forcade, fils du célèbre écrivain de la Revue des Deux-Mondes. M. Forcade avait alors dix-neuf ans ; il habitait le quartier des Écoles. Dès que le combat eut cessé dans le quartier et que les rues furent libres, il sortit de chez un ami chez lequel il avait trouvé un refuge pendant la lutte, 15, rue Champollion ; il poussa jusqu’au Palais de Justice, alors en feu. Quand il revint, vers sept heures du soir, à la barricade qui faisait le coin de la rue Saint-Jacques et de la rue des Écoles, il entendit crier : « Halte-là ! qui vive ! » Il répondit : « France ! » Il vit les fusils de la barricade s’abaisser sur lui. Un lieutenant s’approcha et lui demanda où il allait, et comme il répondait qu’il rentrait chez lui : « Suivez-moi ! » dit brutalement l’officier. Il obéit et fut conduit au Collège de France.

C’est ainsi qu’on arrêtait les gens, en ce temps-là.

Notez qu’on ne lui demanda même pas son nom, et