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« À la prise du quartier des Halles, un homme se présente aux avant-postes sous les tranchées. Il était blanc de farine et couvert d’un de ces immenses chapeaux de feutre que portent les forts de la halle.

» — D’où viens tu ? lui demanda l’officier.

» — De la halle aux blés, répond-il.

» — C’est impossible ; montre tes mains.

» Le dessus était très couvert de farine, mais la paume était encore noire de poudre.

» Il a été fusillé sur-le-champ. »

Un dernier détail donnera l’idée de ce que pesait alors la vie humaine.

Le directeur d’une usine importante, M. A…, se trouvait place du Théâtre-Français, avec un de ses amis ; un passant, vêtu en bourgeois, est signalé aux soldats par un individu également en costume civil, probablement un policier. Le passant dénoncé est empoigné par quatre hommes, accompagnés d’un caporal. Les deux promeneurs interviennent. « Vous n’allez pas fusiller cet homme ! » L’ami de M. A… était décoré ; son ruban rouge en impose aux soldats qui font semblant d’emmener le prisonnier, mais arrivés un peu plus loin, devant la boutique de l’armurier Lepage (il y avait là une barricade avec un fossé) un soldat renverse le malheureux dans le fossé d’un coup de crosse dans les reins : une fois tombé, on le fusille.

M. A… et son ami accourent. Il y avait là un officier ; ils lui firent les plus pressantes remontrances. L’officier parut être de leur avis, et se tournant vers les hommes qui venaient de tirer, leur adressa cette curieuse oraison funèbre de la victime :

« Vous auriez bien pu l’emmener, celui-là. »

On juge par là, du sang qui fut répandu, à mesure que l’armée avançait, dans les quartiers suspects, tels