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le vice suprême

laisse au commun des hommes l’amour ; c’est là toute leur poésie. Ravis-nous dans Les propres extases ; mais ne le traîne pas avec nous, dans les vaines tendresses ! Vois ! les sirènes chantent, les croupes des chimères frémissent, les sphinx battent des mains à ton approche ! Ne cherche pas l’énigme de la femme, elle n’en a pas et elle te dévorerait. Qu’aucune main ne se pose jamais, orgueilleuse ou caressante, sur ton front ; plus elle serait blanche, mieux elle étoufferait ton génie. Ne presse jamais sur ton cœur que des rêves. Ce baiser que tu veux acheter au prix de ta liberté, je te le refuse. Tu en as déjà un au front qui ferait le mien sacrilège. Les lèvres de la femme seraient profanes là où se sont posées celles de la muse. Tu es plus qu’un homme, tes amours ne doivent pas être de terre comme les nôtres. Va, sois bon et chaste ; chante et marche. Ne parle jamais l’infirme langage des vulgarités, ne t’arrête jamais, surtout devant la femme. Sois sublime enfin, c’est ta mission ! et remercie Dieu que ton génie t’ait sauvé de mon amour ! »

L’étonnement, l’orgueil florentin éclatèrent en bravi. Seul, le prince Sigismond, les yeux hypnotisés sur Leonora, n’avait pas applaudi. Le rideau tombait sous des rappels frénétiques, Torelli, surpris de la froideur de Malatesta, s’écria :

― « Comment n’applaudissez-vous pas ? »

― « Je n’applaudis pas, mais je vous demande la main de votre pupille, » prononça gravement Sigismond.

― « Mon cher prince, allez la lui demander à elle-même. Le roi Charles x n’avait que sa place au parterre, je n’ai que ma signature au contrat. »