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le vice suprême

Le Tasse et L’Arioste en faisaient à mes aïeules Lucrezia Leonora. »

Amidei prenait une prosodie et à grand’peine écrivait un méchant sonnet que Leonora trouvait tel et dépitée, elle s’exclamait pleine de rancune : « Je ne puis donc pas même inspirer un bon sonnet. » Elle s’ingéniait en des méchancetés dont le soin qu’elle prenait de le troubler de concupiscence n’était pas la moindre. Elle était parfois impudique pour jouir de la confusion d’Amidei, comme elle le fut plus tard envers ses adorateurs pour hérisser leur chair, de toutes les flèches du désir vain.

Un jour d’août, Bianca del Agnolo vint la chercher en calèche pour l’emmener une semaine à Pratolino. Leonora sauta joyeusement dans la voiture qui emporta, par la porte San Donato, les deux jeunes filles seules et heureuses de l’être, comme en escapade.

L’aride Apennin et le colosse de Jean de Bologne succédaient à la fertile plaine de l’Arno, quand Bianca dit à son amie :

— « On voulait te donner la chambre bleue d’apparat, j’ai dit que tu serais mieux dans la mienne ; nous coucherons ensemble, avant de s’endormir on causer très tard. Oh ! ce sera gentil ! »

La villa des del Agnolo s’élevait sur l’emplacement de ce Marly Toscan, où le Grand Duc François et Bianca Capello allaient cacher leurs amours.

Le soir, les deux amies parlaient du Pratolino des Medicis.

— « Tu t’appelles Bianca, toi aussi, » disait Leonora, « prends garde à ton Capello ; qu’il n’aille pas coiffer l’aile des moulins. »

— « Il a dû se passer ici, des choses, » faisait Bianca, en se coulant dans un fauteuil.

— « Oui, comme il y en a, dans les passages des romans français que Sarkis ne voulait pas me lire. »