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garde. Qui pouvaient, qui devaient lui dire : Vous allez commencer une vilaine histoire. Nul ne l’a fait. C’était pourtant l’office d’un véritable ami. Je ne suis pas sûr au contraire qu’ils ne l’aient point excité, encouragé plutôt peut-être, pour lui plaire, pour le flatter, hélas lui-même pour le trahir peut-être, pour abonder dans son sens, peut-être par une bassesse du cœur, par un besoin obscur, par une complicité, par un besoin de complicité de crime. M. Laudet n’a pas un ami. Peut-être hélas pour se moquer de lui. Par jalousie, par envie. Pour le voir engagé, lui camarade, confrère, peut-être haï, sûrement haï, dans une mauvaise histoire, cœurs ténébreux peut-être pour le voir basculé, périlleux, engagé dans une aventure. Périlleuse. C’est triste à dire, ils ont tous eu au moins peur de lui déplaire. C’est ainsi que les puissants ne connaissent jamais la vérité. J’ai donc le droit d’avancer que M. Laudet n’a pas un ami. C’est la grande tristesse et c’est la grande infortune des rois, c’est la grande incapacité, la grande faiblesse, la grande diminution des puissants et des dominateurs, c’est la grande solitude des monarques, qu’ils ne sont jamais entourés que de courtisans, que nul n’ose leur dire la vérité. M. Laudet n’est malheureusement entouré que de gens, et de jeunes gens, qui n’ont qu’une pensée : qu’un jour ou l’autre ils pourront lui apporter un roman qui leur fasse quinze ou vingt mille francs.

Troisièmement M. Laudet sait très bien qu’il y a une troisième raison, une raison secrète et infiniment délicate pour laquelle je n’ai pas voulu saisir M. le Grix. Tant que M. le Grix n’existe pas, tout va bien, je puis