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§ 268. — Je veux bien marcher contre le Parti Intellectuel. J’ai l’habitude. Je consens même de marcher encadré contre le Parti Intellectuel, bien que j’aie perdu l’habitude de marcher encadré. Mais pendant que je marche je ne veux pas être trahi par mon camarade de combat. Je sais trop ce que c’est. J’ai assez pris l’habitude pendant l’affaire Dreyfus. Je sais, j’ai appris ce que c’est que d’être trahi par son État-Major et par ses camarades de la ligne. Cette expérience m’a suffi pour ma vie entière. Je ne veux pas recommencer. Pendant l’affaire Dreyfus Jaurès nous excitait : Marchons à fond contre les antisémites, criait-il. Et pendant qu’en effet nous nous marchions à fond contre les antisémites, lui et ses acolytes, Jaurès et les acolytes de Jaurès avaient déjà commencé de nous trahir par derrière, avaient déjà commencé de nous tirer dans le dos. Il avait trahi Bernard-Lazare même. Les tractations avaient commencé. Une seule expérience me suffit. Cette expérience m’a dressé pour ma vie entière. Je ne veux pas recommencer avec M. Laudet. J’ai des drôles d’idées, — (s’il m’est encore permis de parler ainsi) ; — je ne veux pas que mon camarade de rang me fusille. J’en ai une ambition. Je ne veux pas que l’on crie, que M. Laudet (me) crie : Marchons à fond contre le Parti Intellectuel, et que pendant ce temps-là M. Laudet fasse une alliance occulte avec le Parti Intellectuel, s’entende derrière mon dos avec le Parti Intellectuel pour me fusiller dans le dos. Si c’est ainsi, j’aime beaucoup mieux continuer à marcher tout seul contre le Parti Intellectuel. J’ai l’habitude. Il y a vingt ans que je marche tout seul. Ça (me) réussit très bien.