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point d’arrivée définitif. On part, on descend, on s’arrête, on saute, on remonte, on redescend, on arrive. On va, on saute, on revient, on reva. Qu’importe. Parce qu’un voyage est singulier, parce qu’il est interrompu, parce qu’il est discontinu et même parce qu’il est partiellement rétrograde ce n’est pas une raison pour ne pas le faire. Qu’importe, si le voyage est hardi, si la tentative est féconde, si l’aventure est récompensée. Ce qui revient à dire qu’une grande philosophie n’est pas une philosophie qui n’est pas contestée. C’est une philosophie qui vainc quelque part. Une grande philosophie n’est point une philosophie sans reproche. C’est une philosophie sans peur.

Une grande philosophie n’est pas une dictée. La plus grande n’est pas celle qui n’a pas de faute.

Une grande philosophie n’est pas celle contre laquelle il n’y a rien à dire. C’est celle qui a dit quelque chose.

Et même c’est celle qui avait quelque chose à dire. Quand même elle n’aurait pas pu. Le dire.

Ce n’est pas celle qui n’a pas de défauts. Ce n’est pas celle qui n’a pas des vides. C’est celle qui a des pleins.

Il ne s’agit pas de confondre. C’est dans les écoles qu’il s’agit de confondre. Il ne s’agit même pas de convaincre. Dans convaincre il y a vaincre, comme Victor Hugo aimait à me le répéter.

Confondre l’adversaire, en matière de philosophie, quelle grossièreté.

Le véritable philosophe sait très bien qu’il n’est point institué en face de son adversaire, mais qu’il est institué à côté de son adversaire et des autres en face d’une réalité toujours plus grande et plus mystérieuse.