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dissement. Que les plus grands maîtres de la parole dite se soient à ce point défiés de la parole chantée, ce n'est peut-être point l'effet du hasard, ni d'une insuffisance, ni d'une certaine bassesse. Il y a peut-être tout de même là, et un problème, et une difficulté, et une pro- fonde contrariété intérieure. Que les maîtres du rythme dit, et entendu au plus profond de l'être, se soient aussi constamment défiés du rythme chanté, avec cette espèce d'inquiétude, constante, et d'opiniâtreté, et de sûreté dans la défiance, c'est un phénomène de créa- tion, c'est un fait si général qu'il est bien difficile de ne pas le considérer comme une sorte de loi. Pour nous en tenir à nos grands maîtres du dix-neuvième siècle, et sans remonter à nos grands classiques, je veux dire à nos grands autres classiques, à nos grands premiers classiques, que des hommes comme Lamartine, Vigny, Musset (quoi qu'il en ait dit), et en tête Hugo aient eu non pas seulement pour la musique (ce serait encore une autre question), mais pour le rythme chanté, pour la parole chantée, qu'ils en aient eu cette incurable défiance, on ne sait quelle aversion profonde, voilà qui est constant, qui ne souffre aucune exception, voilà qui exigerait une requête, une réquisition approfondie. N'en doutez pas, mon jeune ami, il y a là quelque secret l'un des plus recreux de la création. Je ne parle point ici de la défiance qu'ils ont de la musique, c'est encore une (tout) autre question. Je parle de la défiance qu'ils ont de lWrchanté.

Ils sentent que c'est un autre être.

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