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stérilités, tant de cadavres d’anciens tracés, d’anciens traits, sacrifiés, tant de poussières d’anciens traits, abolis, tant de cendres d’anciens traits, volontairement oubliés, rageusement reniés, quand sous le trait si péniblement définitif, si arbitrairement choisi et en désespoir de cause comme devant être définitif, sous le dernier essayé, simplement, en somme, on lit, on est forcé de lire tant d’anciennes, tant de mauvaises lectures, abandonnées pourquoi plus que telle autre ? Malheur à l’artiste, malheur à l’auteur, malheur au créateur dont le champ du regard est devenu ce papier fatigué, dont le regard même est devenu ce crayon mal taillé, cette plume ébréchée, une pointe laborieusement désaiguisée. Malheur à l’auteur dont le champ du regard a reçu trop d’injures, a enregistré trop d’essais, a eu à publier trop d’amnisties, est écrasé de trop d’habitude. Il ne vous échappe pas, mon ami, que nous touchons ici à l’un des problèmes les plus difficiles et les plus profonds (les deux vont quelquefois ensemble) de la création même et de l’opération de l’œuvre. Mettons, pour être sage, et pour parler comme eux, à l’un des problèmes les plus délicats de l’esthétique. Et il ne vous échappe pas non plus que ce problème le plus délicat peut-être de l’esthétique, le problème de la conception même et de l’exécution de l’œuvre, le problème de la sortie, le problème de la production, le problème de la création même de l’œuvre, enfin de tout ce que nous avons nommé la création et surtout l’opération de l’œuvre est essentiellement un problème d’histoire,