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d’honneur. La plus grande œuvre du génie est remise en nos mains débiles. Par nos mains, par nos soins, par nos seules mains elle reçoit un accomplissement incessamment inachevé. Une lecture de nous achève ou corrompt cette Antigone ; une lecture de nous couronne ou découronne cet achèvement d’Homère, cette Iliade et cette Odyssée. Quelle injustice, mon ami, criante, et non pas une injustice accidentelle, un décalage fortuit, mais une injustice essentielle, inhérente au temps, inhérente à cet ordre, incluse dans l’ordre même ; quelle injustice organique, mécanique, je veux dire tenante au mécanisme même, technique, tenant à la technique même ; quel scandale donc, et si je puis dire, quel scandale justifié ; par conséquent, attention : quel mystère donc sans doute. C’est le mystère propre de l’histoire et de l’ordre historique. L’histoire est profondément injuste. L’ordre historique est profondément injuste. C’est dans les petits traités de morale à deux sous, mon cher enfant, dans les petits bouquins de morale plus ou moins universitaire, primaire, secondaire, et même supérieure, et même extérieure, dans les petits traités laïques, civiques, morale et civique, instructifs, je veux dire d’instruction, et d’éducation, éducatifs, étatiques, sommaires, commodes, ecclésiastiques, d’encouragement, et qui préparent très bien au baccalauréat, et même au brevet supérieur, que ça s’arrange bien, que tout s’arrange, que le juste est heureux sur terre, qu’il réussit, que la justice donc règne temporellement. Tout est organisé au contraire au plus